Viajeros del siglo XVIII en Canarias

Fundación Canaria Orotava de Historia de la Ciencia

Un ouragan dans l'ocean

“La marche du vaisseau assez aisée, et le voisinage du tropique, promettaient une heureuse navigation; cependant nous touchions au moment d’essuyer une des plus furieuses tempêtes qui ait jamais soulevé l’Océan. Nous étions alors entre les îles Açores et madère. Le vent de N.E. qui depuis trois jours nous favorisait, saute brusquement `d l’est, avec une violence que nous n’avions pas encoré ressentie. Tout à coup, la mer extrêmement enflée bat l’arrière et les flancs du navire. L’agitation des voiles fortement tendues, et le mugissement des ondes, produisaient un sifflement semblable ‘a celui que font entendre nos forêts, lorsque l’aquilon secoue la cime des arbres, et porte au loin le bruit d’une tourmente lúgubre.

Le soleil était encoré sous l’horizon, et déjà l’ouragan accompagné de pluie et de grêle avait cassé l’amure de la grande voile, et une partie des haubans du grand mât aussitôt on dégréa les perroquets, et nous cour^mes rapidement vent-arrière. A la 1 heure après midi, les vents devenus plus violents déchirèrent la misaine. Ce malheur provint de l’imprudence du timonier qui, tenant la barre du governail, fit mal à propos un élan sur tribord. La grande voile, qu’on n’eut pas le temps d’amurer, fut aussi déchirée avec un perçant qui imitait les éclats du tonnerre. […]

Les dangers augmentèrent dans une progression effrayante; le navire place en travers obéssait à l’impulsion irrégulière des lames qui rompirent le grand mât de hune. Ces malheurs n’étaient quele prélude d’un plus grand, qui faillit nous abîmer dans les flots. Le bâtiment sans voiles pouvait à peine se soutenir en équilibre au milieu de l’onde, don’t les lames le battaient en flanc; leurs coups redoublés l’ébranlaient dans toutes ses parties, et nous imprimaient des commotions pareilles à celles qu’on éprouve lors d’un tremblement de terre. Dans cette position cruelle, le gouvernail, seul moyen de direction qui nous restât, ne put resister long-temps à la violence des flots.

J’étais sur le pont depuis le commencement de la tempête, et j’y suis resté pendant soixante heures, à côté même du capitaine, le corps attaché à un des haubaus, pour resister aux violentes oscillations du roulis, et la tête ceinte d’un triple bandeau, pour parer aux coups provenant de la chute des poulies ou ds cordages. Dans cette situation j’observais en silence le spectacle terrible de l’homme aux prises avec les éléments. Une manoeuvre mal exécutée, une nouvelle voie d’eau dans la cale…, le plus léger incident puvait être le signal de notre perte… Que de réflexions sinistres! … que d’idées sombres m’assiégeaient alors! Cependant mon courage que m’inspirait le capitaine, et l’espoir de survivre au danger, l’ont toujours emporté dans mo name sur la crainte de la mort. Plusieurs de mes collégues, blottis dans leurs hamacs, y éprouvaient des agitations plus violentes que les miennes: si nous devions périr, notre sort devenait commun; mais si le Ciel daignait nous ramener au port, je ne me serais jamais consolé de n’avoir pas osé voir cet effrayant tableau.”

André-Pierre Ledru, 1796