Caverne à Icod
J’ai visité beaucoup de cavernes dans l’ancien et le nouveau monde, mais c’était bien la première fois que je m’enfonçais dans les sombres galeries souterraines d’un torrent de laves. Il’y règne des ténèbres épaisses et une atmosphère à peine respirable. La lave, suspendue à la voûte en bizarres stalactites, présente des incrustations de carbonate de chaux; les stalactites distillent des gouttes d’eau qui suintent à travers la voûte et forment sur le sol de larges flaques d’eau qui nous glacent les pieds. On marche sur un sol de lave noire, rugueuse, sillonnée de crevasses et de boursouflures. J’ai été frappé de l’extrême régularité de la voûte: on la croirait construite par les hommes; elle est généralement si basse qu’il faut courber le dos pour ne pas se briser la tête contre les stalactites. La galerie où nous nous sommes engagés descend vers la mer avec la coulée de lave dans l’intérieur de laquelle elle s’est frayé passage: elle offre une pente extrêmement rapide et il faut s’y avancer avec précaution pour ne pas tomber dans les abîmes.
Au bout d’un quart d’heure de marche nous voyons la galerie s’élargir. Une atmosphère fétide et fade nous affecte l’odorat. Mon guide me fait remarquer, dans les crevasses de parois, des ossements presque réduits en poudre. Cette poussière humaine contraste par sa blancheur avec la noire roche volcanique. Nous sommes dans le lieu même où les anciens Guanches ensevelissaient ses morts.
Jules Leclercq, Voyage aux Îles Fortunées (1880)