Guide à Fortaventure
J’étais porteur d’une lettre pour l’alcalde et d’une autre pour le curé; les deux étaient absentes, le dernier était occupé à arracher ses pommes de terre. Mon guide qui, jadis, avait été propriétaire dans ce village me trouva un gîte dans la cabane d’un pasteur. Je m’étais muni des provisions, pensant ne rien trouver dans cette partie de l’île ni dans le nord de Fortaventure, et je n’avais besoin que d’un abri. J’installai donc de mon mieux mes bagages et commençai tout de suite mes excursions dans les montagnes voisines. À mon retour, je voulus, avec l’aide de mon domestique, préparer le dîner; presque toutes mes provisions de bouche avaient disparu.
Mon guide avait fait le généreux à mes dépens; profitant d’un moment où il était seul, il avait distribué mes victuailles aux soixante habitants du village. Il trouva même très extraordinaire que je ne fusse pas satisfait de ses procédés. Je m’apprêtais à lui apprendre à respecter le bien d’autrui, quand la femme du pasteur, qui avait été à son service lorsque mon homme était à l’opulence, intervint en sa faveur.
René Verneau, Cinq années de séjour aux Îles Canaries (1891)