Berger à Icod
Un peu plus haut, je rencontrai dans une cabane un autre type plus curieux que la vieille. C’était un vieux berger, vêtu d’un simple caleçon court et de quelques loques qui avaient dû être une chemise. Ses jambes étaient recouvertes de sortes de guêtres en peau de chèvre; aux pieds, il portait de sandales pareilles et, sur la tête, une sorte de bonnet qu’il s’était tricoté lui-même, avec la laine de ses moutons. Si ce n’eût été le caleçon et les débris de la chemise, j’aurais pu me croire en présence d’un vieux Guanche, n’ayant jamais eu de rapports avec les Européens. Il m’invita à entrer dans sa demeure et m’offrit du lait.
Quelle ne fut pas ma surprise en voyant le mobilier de cette cabane! Dans un coin un lit de fougères, à côté un moulin guanche et un vase grossier, de tous points comparables à ceux dont faisaient usage les anciens insulaires. Une flûte en roseau, une gamelle de bois et un sac en peau de chèvre rempli de gofio complétaient l’ameublement. Je ne pouvais en croire mes yeux et j’examinai plus attentivement le vase et le moulin. Voyant mon étonnement, le vieillard m’expliqua que, ces ustensiles, il les avait trouvés dans une grotte jadis habitée par «los Guanches» eu qu’il s’en servaient depuis de longues années. Je ne pus le décider à se dessaisir de ces intéressants objets; à mes offres d’argent il répondit qu’il n’avait besoin de rien pour le peu de temps qu’il lui restait à vivre.
René Verneau, Cinq années de séjour aux Îles Canaries (1891)